Le « choc de simplification » : deuxième épisode

permis de construireÉdito du 13 juin 2013

Il y a quelques semaines, nous vous avons entretenu du rapport remis au Premier ministre par deux élus, l’un de droite, le président du Conseil général de l’Orne Alain Lambert, l’autre de gauche, le maire du Mans Jean Claude Boulard, sur le thème récurrent quelle que soit la couleur du gouvernement de la simplification : nous avions trouvé dans ce document des curiosités généralement aussi populaires que difficilement applicables.

Le permis de construire, ce bouc-émissaire au dos large

Madame Duflot, Ministre de l’écologie ayant hérité, entre autre seigneurie, d’un bout du secrétariat d’Etat échu dans le précédent gouvernement à Benoist Apparu, grand adepte de l’urbanisme de projet et autres singularités juridiques, a voulu elle aussi son rapport sur le bouc- émissaire de tous les agents économiques du secteur de la construction : le permis de construire. Permis chargé, avant de courir dans le désert, des recours dits « abusifs » qui, parait-il, seraient à la source de tous nos maux en freinant l’économie du bâtiment et partant, de l’emploi.

La ministre a cependant eu la sagesse, pour rechercher des remèdes aux « recours abusifs », de constituer un groupe de travail dont la direction a été confié à Daniel Labetoulle. Cet inconnu du grand public est président de section honoraire au Conseil d’Etat. Au cours de sa carrière, après avoir été titulaire de la fameuse chronique de jurisprudence de l’AJDA, un observatoire confié à une paire de brillants auditeurs du Palais Royal, il a présidé pendant de nombreuses années la section du contentieux.

Un tel personnage qui reçoit une telle mission balise sa route. Pas de propositions contraires au droit au juge, rien qui dérange les grands principes jurisprudentiels de la Haute Assemblée. S’il croit pouvoir soutenir sept propositions, encore fait-il toutes réserves sur l’accueil qui leur sera réservé par le législateur et son objecteur de conscience, le Conseil Constitutionnel.

Monsieur Labetoulle au rapport, Madame la ministre prévenue : « un bon marathon législatif en perspective ! »

Le président Labetoulle écarte dans son préambule la responsabilité du juge dans les délais de procédure. Il loue au contraire les progrès qui ont permis ces dernières années de ramener le délai moyen d’instruction et de jugement d’une affaire d’urbanisme à moins d’un an à chaque niveau de première instance, d’appel puis de cassation. Soit en tout, moins de trois ans pour un dossier parvenu au sommet de la pyramide judiciaire !

L’encadrement qu’il propose de l’intérêt à agir, mesure traditionnelle de la recevabilité du recours déposé par un particulier ou une personne morale, prend la précaution d’exclure de la règle contraignante les associations. On ne pourra évidemment que s’en réjouir.

Ce que le groupe de travail nomme « la cristallisation des moyens » est une réforme tout à fait modérée. La vielle jurisprudence connue des étudiants, dite « Intercopie », qui suggérait de développer dans son recours un moyen de légalité interne et un moyen de légalité externe, sources et mères de tous les autres moyens soulevés par la suite, serait désormais contrainte dans le temps. À un moment donné, le défendeur pourrait solliciter que les moyens nouveaux, même issus d’une filiation rapportable à ceux déjà soulevés, soient bloqués et que par conséquent la procédure écrite s’arrête.

Mais le spécialiste du contentieux qu’est le président Labetoulle rappelle que cette contrainte n’empêcherait pas que les moyens en questions renaissent en cause d’appel. Rien d’essentiel n’est donc perdu.

Il est encore proposé par le rapport que la régularisation de vices de formes ou de fond puisse intervenir en cours de procédure et fasse même l’objet, lorsque la régularisation est évidente, d’un sursis à statuer pour la permettre.

Les auteurs du rapport soulignent néanmoins qu’un tel système ne doit pas trop s’affranchir des règles qui conduisent le juge à regarder la situation à la date de la requête, sous peine de déranger l’ensemble du droit commun du recours pour excès de pouvoir. Il faudra là trouver un équilibre raisonnable, faute de quoi, tous les usagers de l’administration qui plaident contre elle devront faire antichambre sous le péristyle du juge. Et ce, pendant que la décision fautive qu’ils attaquent sera relookée par les fonctionnaires coupables lors de la procédure contentieuse !

La proposition la plus révolutionnaire consiste à proposer que le défendeur (le bénéficiaire du permis attaqué) puisse riposter au recours pour excès de pouvoir par une demande de dommages et intérêts. Cette proposition dérange les principes du recours de plein contentieux devant le juge administratif, en particulier la nécessité de recourir au ministère d’avocat dans ce cas alors que le recours contre le permis de construire en est dispensé. Elle nécessite encore de confier au juge administratif un contentieux qui, selon les auteurs du rapport eux-mêmes, est aujourd’hui du ressort du juge civil ou pénal.

Encore faudra-t-il qu’il soit jugé que le recours formé par le requérant est, dans son fondement, éloigné de l’exercice d’un droit. Le président Labetoulle prévient la ministre : un bon marathon législatif en perspective !

Nonobstant les hommages qui sont naturellement dus à l’auteur du rapport, on regrettera que le groupe de travail ait accepté de faire une brèche dans le sage « droit au double degré de juridiction » en proposant l’institution d’un degré unique d’examen par la Cour administrative d’appel pour certaines opérations immobilières comportant un nombre de logement important.

À supposer qu’une telle procédure passe les portes des contrôles nationaux et européens du « procès équitable », on sait bien que, dans ces cas, le contrôle de cassation que s’accorde le Conseil d’État et les limites qu’il se fixe ont alors tendance à donner au juge suprême, par les artifices habituels de la jurisprudence, un contrôle « élargi » qui s’apparente fort au  pouvoir de juge du fond.

Concluons que ce rapport très modéré ne permettra guère aux « jusqu’au-boutistes » de la simplification d’empêcher que les associations du patrimoine jouent leur rôle devant les tribunaux administratifs.

Dans un article récent quasi introspectif de sa carrière d’avocat de l’environnement, Christian Huglo, grand maître en la matière, soulignait à juste titre que dans l’imbroglio actuel de la fabrique de la loi et du règlement, c’est finalement du juge que vient la règle claire et pérenne.

Méfions nous cependant du dernier épisode dont nous sommes informés : « enfants les Ordonnances passent, cachez vos rouges tabliers ».

L’affaire n’est pas terminée. Suite au prochain épisode.

Alain de la Bretesche
Président-délégué de la Fédération Patrimoine-Environnement
Président de la COFAC (Coordination des Fédérations des Associations de Culture et de Communication)
Administrateur de la Conférence CPCA (Conférence Permanente des Coordinations Associatives)
Administrateur d’Europa Nostra

En savoir plus : 

 

 

 

***