Etes-vous multiculturaliste ?

Notre dernier édito avait l’objectif de faire réfléchir aux questions patrimoniales liées à la fête de la Toussaint et au jour des morts en soulignant les traditions des visites aux cimetières et l’importance des rites mortuaires. Un léger retard de programmation a voulu que cet édito sorte au moment des attentats du 13 novembre, donnant au texte un parfum prémonitoire.

Il va de soi que les équipes bénévoles ou salariées de Patrimoine-Environnement ont communié avec la nation dans le choc des attentats et la douleur de parents, d’amis proches ou moins proches. Nous avons été particulièrement sensibles à l’attaque de ces onze terroristes contre la culture : contre la musique et contre un mode de vie urbain qui est celui de la jeunesse d’aujourd’hui.

Dès lors que la culture est en jeu, tous les penseurs, philosophes, tous les candidats à des fonctions de conducteurs de la nation et tous les bonimenteurs de préaux d’écoles nous resservent ces jours-ci le plat du débat sur le multiculturalisme.

Rappelons d’abord que le Gouvernement des Pays-Bas a fait voter en juin dernier une loi abolissant les aspects du multiculturalisme qui permettaient une intégration des communautés musulmanes. Un échec évident selon le ministre de l’Intérieur batave ! Ces dernières semaines la chancelière Merkel et le Premier ministre Cameron ont, dans d’importants discours devant leurs parlements respectifs, employé le mot « échec » pour parler de leur politique d’intégration, qualifiées de multiculturelles. Nicolas Sarkozy, il y a peu, a repris à son compte, à la télévision, le mot « échec » et disserté sur une définition de l’identité nationale.

Dans ses deux grands discours, à Versailles devant le Congrès et aux Invalides, le chef de l’Etat a largement fait appel à l’unité de la nation. Le discours traditionnel des socialistes sur le multiculturalisme s’est manifestement infléchit. A Versailles, François Hollande n’a-t-il  pas déclaré : « Nous éradiquerons le terrorisme pour que la circulation des personnes, le brassage des cultures demeurent possibles et que la civilisation humaine s’en trouve enrichie. »

Le brassage des cultures n’est pas un objectif, c’est un fait. Comme le répète Michel Onfray, la Normandie, il y a plus de 10 siècles a été peuplée de Scandinaves. Les Polonais, les Italiens, puis les Portugais de deuxième génération sont désormais totalement intégrés.

Mais « brassage des cultures » ne veut pas dire « multiculturalisme ». Ce concept-là envisage une liberté de créer, avec leurs lois et leurs coutumes spécifiques, des communautés petites ou grandes qui n’adoptent pas les fondements de la culture brassée mais nationale et conduisent à une identité commune au temps « T », celui de l’arriver l’un individu ou d’une famille sur le territoire national.

Alors quelle est la réponse d’une fédération nationale du Patrimoine à cette crise nationale de la pensée ? D’abord, de faire notre métier qui est de conserver, de restaurer et de faire connaitre le patrimoine matériel, ou virtuel de notre pays aux générations qui viennent. Il y a dans la pierre, dans la peinture, dans la littérature toutes sortes de réponses aux questions posées sans pour autant qu’elles soient uniques.

Pas d’angélisme historique : souvenons-nous des guerres de religion, des Cathares, de la Grande guerre, et de tous les massacres de l’histoire. Ensuite arrêtons de plaider continuellement pour l’unicité de la culture : on peut discuter des grandes tendances du débat climatique sans se faire traiter de « connard », de l’identité nationale sans être immédiatement être taxé d’islamophobie, s’étriper joyeusement à propos de l’art contemporain à l’hôtel de la Monnaie, sans que l’on ne s’adresse plus la parole pendant un an. Identité ne veut pas forcément dire unicité.

Qu’on nous laisse la liberté d’être, comme le dit l’Unesco, acteurs de notre propre culture, ce qui est la seule manière de la protéger, et ensuite de continuer, en sachant d’où nous venons, à construire notre identité nationale. C’est sans doute la connaissance que nous avons de ce qui ne nous est pas commun avec les nouveaux arrivants qui nous permettra de leur proposer une véritable intégration.

Habituons-nous à transmettre aux générations futures notre culture avec sa complexité. François Hollande dans le bref moment d’unité nationale à l’hôtel des Invalides, que nous avons à peu près tous apprécié, nous a dit que : « La liberté ne demande pas à être vengée mais à être servie »

Pas mal non ! Je demande la liberté pour la culture : nous nous chargerons du reste.

Alain de La Bretesche

Président de Patrimoine-Environnement
Administrateur du Mouvement associatif (Conférence Permanente des Coordinations Associatives)
Administrateur d’’
Europa Nostra